En l’attente de la reprise des conférences d’Egyptologie, nous vous proposons régulièrement des études d’objets de l’Egypte antique, rédigées par Juliette Lengrand, historienne.

Aujourd’hui : Un bloc mural du Louvre où sont gravés des hiéroglyphes : qu’appelle-t-on “hiéroglyphes égyptiens” ?

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Parmi les divers blocs muraux provenant de l’Egypte, le musée du Louvre détient celui-ci qui mesure 5,8 cm de hauteur et 10,7 cm de largeur.
Il est en calcaire.
Les bas-reliefs qui l’ornent sont sculptés dans le creux et on peut y reconnaître un œil vu de face, un siège avec un haut dossier vu de côté et le début d’une silhouette d’un dieu dont la tête porte la barbe divine recourbée, tous éléments soulignés de peinture bleu foncé.
Le lieu de découverte est inconnu mais, d’après le style, on a pu dater ce petit fragment mural de la Basse Epoque (env. 664 à 332 avant notre ère). Cet ensemble de 3 hiéroglyphes sert en fait à écrire le nom du dieu Osiris.

Qu’appelle-t-on « hiéroglyphes égyptiens » ? Qu’est-ce que cette écriture figurative où l’on reconnaît des éléments de la réalité ? Quelle langue recouvre cette écriture ? Pourquoi la rencontre-t-on essentiellement sur les parois murales des temples et des tombes ?

En égyptien ancien, les signes d’écriture sont appelés « medou-netcher », ce qui signifie « paroles du dieu ». C’est aux Grecs que l’on doit le terme « hiéroglyphe », du grec « hieros » (sacré) et glyphein (graver). En effet, le système d’écriture, pour les Egyptiens, n’est pas une œuvre humaine, c’est un don de dieu fait aux hommes.

Les cosmogonies diverses offrent une explication à l’invention de l’écriture. Par exemple, dans la cosmogonie de Memphis, le démiurge Ptah pense l’univers avec son cœur (siège de l’intelligence) et le crée par le verbe (ou la parole). Et c’est le dieu Thot qui, ensuite, crée les hiéroglyphes car il est la « langue de Ptah ». Dans les autres cosmogonies importantes, on retrouve Thot comme dieu créateur de l’écriture. Thot s’inspire de la création divine pour créer les hiéroglyphes : tout ce que renferme la création peut servir de modèle de hiéroglyphes, c’est-à-dire les êtres, végétaux, paysages, choses, objets fabriqués, activités, gestes des vivants, etc…

Aussi, l’écriture hiéroglyphique parle à l’œil et à l’esprit, les hiéroglyphes étant considérés comme des signes divins issus de la création et réservés à la décoration monumentale. En effet, l’écriture hiéroglyphique est aussi une écriture décorative, gravée de la façon la plus harmonieuse possible. Dès les premiers écrits, en outre, images et hiéroglyphes se mélangent, se complètent.

L’écriture hiéroglyphique est également une écriture considérée comme magique, les signes pouvant s’animer. De plus, les hiéroglyphes ne supposent pas nécessairement un lecteur. Certains écrits tirent leur fonction du fait même d’avoir été écrits et seule compte la performance de l’écriture : de nombreux écrits n’étaient d ‘ailleurs pas accessibles aux lecteurs car ils étaient gravés dans des locaux sans lumière (les tombes) ou bien ils se situaient très en hauteur ou dans des lieux interdits au public. L’écriture hiéroglyphique est donc une écriture sacrée, figurative car s’inspirant de la création divine et gravée sur les parois des lieux consacrés à la religion, capable d’agir par elle-même, d’être performative.

 

Les hiéroglyphes sont apparus en Egypte vers 3300 avant notre ère, en même temps qu’apparaissait un autre type d’écriture en Mésopotamie. L’écriture hiéroglyphique a d’abord servi à des emplois modestes : noter des noms propres royaux, des titres, des noms de territoires et de productions agricoles. Il faut attendre l’époque de l’unification, vers 3100 avant notre ère pour rencontrer des phrases complètes. Cependant, très vite, comme les hiéroglyphes étaient réservés aux monuments et difficiles à reproduire, une écriture cursive a été inventée, s’inspirant des hiéroglyphes mais les simplifiant beaucoup : l’écriture hiératique.

Le hiératique était destiné aux documents de la vie courante, sur papyrus ou ostraca (un ostracon est un éclat de calcaire ou de poterie). L’écriture apprise par les scribes était le hiératique, seule une élite apprenait à graver les hiéroglyphes. Le hiératique est écrit à l’encre et présente des pleins, des déliés, des ligatures et se lit de droite à gauche.

Quelle langue recouvrent les hiéroglyphes ?
A l’Ancien et au Moyen Empire, il s’agit de « l’ancien » et du « moyen égyptien » (l’égyptien de tradition ou classique). Au Nouvel Empire, apparaît « le néo-égyptien » qui intègre les innovations de la langue parlée. Vers le VIIe siècle avant notre ère, apparaît le démotique qui est un nouveau stade de la langue et un type d’écriture très simplifié pour l’usage courant, inspiré du hiératique.
Exemple de démotique ci-dessous :

Le copte est le dernier stade de la langue et le dernier type d’écriture, uniquement réservé en Egypte à la liturgie de l’Eglise orthodoxe copte.
Exemple de copte ci-dessous :

 

Les œuvres littéraires sont généralement écrites dans la langue de leur temps (égyptien classique ou néo-égyptien ou démotique) et ont été consignées en hiératique puis en démotique, le plus souvent sur papyrus ou ostraca. Certains textes religieux sont écrits en hiéroglyphes cursifs (ou linéaires) c’est-à-dire que les hiéroglyphes sont juste un peu simplifiés mais reconnaissables, par exemple, les « Textes des sarcophages » peints sur les sarcophages au Moyen Empire.

Mais à l’Ancien Empire, les « Textes des Pyramides » étaient gravés en hiéroglyphes en bonne et due forme, ainsi que tous les textes importants et ce, jusqu’à la fin de l’histoire pharaonique : hymnes des temples, autobiographies des tombes, stèles frontières, commémorations de victoire ou de traité, décrets royaux, récits d’expédition, évènements historiques, stèles ou statues de particuliers déposées dans les temples et les lieux de pèlerinage comme Abydos…

 

Comment fonctionnait le système hiéroglyphique ?
C’est le français Jean-Francois Champollion (1790-1832) qui est parvenu à déchiffrer les hiéroglyphes (cocorico !) au début des années 1820, leur connaissance s’étant peu à peu perdue à partir de la fermeture des temples égyptien promulguée par le décret de l’empereur romain d’Orient, Théodose Ier, en 391 de notre ère. Le dernier écrit hiéroglyphique est une inscription de 394, au temple de Philae. Le trait de génie de Champollion est qu’il comprit que l’écriture hiéroglyphique combine des signes sémantiques et des signes phonétiques. Comme d’autres langues sémitiques, la langue écrite ne note pas les voyelles mais seulement les consonnes, aussi on ne peut savoir aujourd’hui comment se prononçait cette langue. L’écriture hiéroglyphique comporte :

  • des signes-mots (des idéogrammes) désignant des concepts ; ainsi, le dessin du soleil signifie le soleil ou le dieu Rê
  • des signes-sons (des phonogrammes) ; un signe vaut un ou plusieurs sons
  • des signes muets, les déterminatifs, qui indiquent le champ lexical du mot ; il existe même un déterminatif pour les idées abstraites : le dessin du rouleau de papyrus scellé ; de plus, un trait vertical est le déterminatif pour affirmer qu’on est bien en présence d’un idéogramme

 

Par exemple, étudions le chaouabti de Toutankhamon ci-dessus, retrouvé dans sa tombe et qui porte une inscription en hiéroglyphes cursifs.
Le premier mot, à gauche en haut de la colonne de hiéroglyphes (1er ellipse) signifie « beau, parfait » et est un phonogramme à 3 sons qui se lit « nefer » (le dessin représente une trachée et le cœur).
Plus bas, dans le cartouche du nom de couronnement du roi, on remarque un rond au-dessus du dessin d’un scarabée (2e ellipse) ; ce rond est un idéogramme qui se lit « Rê ».
L’ensemble de la phrase peut se traduire : « Le dieu parfait, seigneur des Deux Terres, Neb-Kherepou-, que la vie lui soit donnée ».

 

Ce portrait de la déesse Maât provient de la tombe du pharaon Séthy Ier (Vallée des Rois, XIXe dynastie – aujourd’hui au Musée archéologique de Florence). Tout en haut de la 1er colonne complète à gauche, est écrit « maât » suivi de la représentation d’une divinité assise (voir l’ellipse que j’ai dessinée) : cette représentation est un déterminatif qui classe le mot « maât » parmi la catégorie des divinités.

 

Sur cette stèle en grés de l’époque ptolémaïque est écrit en entier le nom d’Osiris, à l’aide de 3 hiéroglyphes.
En égyptien ancien Osiris se lit et s’écrit « Wsjr ». Le trône se lit phonétiquement « ws » et l’œil se lit phonétiquement « jr » ce qui donne « Wsyr », la représentation de la divinité assise étant un déterminatif (muet).
L’ensemble des 3 hiéroglyphes est écrit dans un cadrat idéal.

Voici donc un premier aperçu sur le système hiéroglyphique des anciens égyptiens, que l’on pourra approfondir prochainement.

 

Juliette Lengrand, historienne

 

 

 

 

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