En l’attente de la reprise des conférences d’Egyptologie, nous vous proposons régulièrement des études d’objets de l’Egypte antique, rédigées par Juliette Lengrand, historienne.

Aujourd’hui : “Une statuette du dieu égyptien Rê”

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Cette statuette du musée du Louvre mesure 10,2 cm de hauteur et 0,9 cm d’épaisseur.
Elle est faite en bois gravé.
Elle représente le dieu Rê, dieu soleil égyptien, accroupi, recouvert d’un vêtement collant et long, tenant une plume d’autruche qui rappelle Maât. La tête de Rê est celle d’un faucon portant le disque solaire. Le poitrail est recouvert d’un large collier “ousekh”.

Au cours de la IIe dynastie égyptienne (vers 2900 à 2700 avant notre ère), un des souverains se nomme Nebrê (Rê est le seigneur), ce qui témoigne de la faveur politique de Rê à ces hautes époques. Cette faveur ne cessera jamais durant toute l’histoire de l’Egypte antique. L’idéologie dominante accordera toujours une place prédominante à Rê et celui-ci sera associé à tous les grands dieux du pays.
Ainsi, au Moyen Empire (2000 à 1800 avant notre ère), lors de l’unité retrouvée après la PPI, les souverains s’établissent à Thèbes et mettent en valeur Amon, le dieu local, associé ensuite à Rê en son nom d’Amon-Rê. En outre, dès la IVe dynastie de l’Ancien Empire (2700 à 2200 avant notre ère), le pharaon Djedefrê adopte, dans sa titulature, l’épithète de “fils de Rê” (“Sa Rê” en ancien égyptien, “Sa” signifiant “fils”, écrit au moyen du hiéroglyphe représentant un canard). Cet épithète subsistera dans la titulature de tous les pharaons suivants.

De plus, dès la IIIe et la IVe dynastie de l’Ancien Empire, les pharaons se font construire des tombeaux solaires, les pyramides. Lors de la IIIe dynastie, la pyramide à degrés du pharaon Djoser à Saqqara, tout en signalant la suprématie du souverain, s’élève vers le ciel en symbolisant l’ascension de celui-ci vers les cieux, domaine de Rê, ou bien la pyramide peut également représenter la butte primordiale d’où Rê s’est élancé pour éclairer le monde. Les trois pyramides à face lisse du plateau de Gizeh, construites sous la IVe dynastie, ont la même fonction ainsi que toutes les autres pyramides construites jusqu’à la XIIIe dynastie.

 

Qui est donc le dieu Rê ? D’où lui vient sa prééminence durant les trois millénaires de l’histoire égyptienne antique ? Pourquoi les pharaons se sont-ils toujours référés à ce dieu durant leur vie sur terre et leur vie dans l’au-delà ?

La religion de l’Egypte antique est dite “polythéiste”, même si divers écrits évoquent souvent un dieu unique (netjer). Chaque cité a élaboré une cosmogonie (mythe de la création du monde) où le dieu local est le démiurge responsable de la création. Certaines cosmogonies se sont révélées plus importantes que d’autres et ont marqué la pensée égyptienne : la cosmogonie d’Héliopolis, celle de Memphis et celle d’Hermopolis.

Le dieu solaire Rê est le dieu de la cité de Iounou (Héliopolis selon les Grecs), située au nord de Memphis, dans le Ier nome  (province) de Basse Egypte.
La cosmogonie d’Héliopolis est une des plus anciennes et daterait du début de l’Ancien Empire. Selon cette cosmogonie, avant la création, existait un océan primordial, le Noun dont le nom paraît signifier “le non-être”. Le dieu Atoum naît de lui-même et se place sur la première terre ferme apparue, la “butte primordiale”. Le nom d'”Atoum” vient du mot  “tem” qui signifie “ce qui est” et aussi “ce qui n’est pas” : c’est que Atoum est à la source et à la fin de toute existence. Atoum prend alors un aspect solaire dans l’entité appelée Rê, qui apporte chaleur et lumière à la création en s’élançant à partir de la butte primordiale. Atoum-Rê donne ensuite naissance à l’Ennéade (collège de 9 dieux) : le couple Shou (dieu de l’air) et Tefnout (déesse de l’humidité) qui engendre le couple Geb (dieu de la terre) et Nout (déesse du ciel), ces derniers engendrant Osiris, Isis, Seth, Nephthys et Horus l’Ancien. Les dieux et déesses de l’Ennéade montrent ainsi que la création peut se poursuivre grâce aux relations sexuelles entretenues par les couples.

A Iounou (Héliopolis), avait été édifié dès l’Ancien Empire un temple de Rê dont il ne reste rien aujourd’hui, hormis les fondations, les blocs de pierre ayant été remployés dans d’autres constructions et les obélisques dispersés (l’obélisque représente les rayons solaires). Ainsi, des obélisques provenant de Iounou se trouvent aujourd’hui à Alexandrie, Rome, Constantinople. L’obélisque du Vatican, place Saint-Pierre, d’une hauteur de 25,5 mètres, proviendrait du temple de Rê à Iounou et pourrait être attribué au pharaon Amenemhat Ier de la XIIe dynastie (voir la photo ci-dessous).

Il existait également un temple solaire à Iounou dont on a retrouvé les fondations. C’est le premier pharaon de la Ve dynastie, Ouserkaf, qui a eu l’initiative de la construction de temples solaires afin de vénérer au mieux Rê. Le temple solaire le mieux conservé est celui de Niouserrê (Ve dynastie) à Abou Ghorab. Il s’agissait d’un complexe à ciel ouvert : un temple de la vallée au débarcadère du Nil, une chaussée de pierre jusqu’au temple de culte où, au milieu de la cour fermée, un obélisque trapu siégeait sur un socle avec un autel à son pied. On y faisait de somptueuses offrandes en faveur de Rê.

Les représentations de Rê sont diverses, comme peuvent l’être celles des nombreuses divinités égyptiennes, aucun dieu n’ayant une forme unique. Parmi ces formes de Rê, on peut signaler :

  • la forme la plus habituelle de Rê : un homme debout ou assis ou accroupi, à la tête de faucon, coiffé du disque solaire, protégé par un uraeus
  • la forme d’un homme à tête de bélier (pour montrer la puissance génésique de Rê)
  • la forme d’un chat tueur du serpent Apophis, ennemi de la création
  • la forme d’un scarabée dont le nom est “kheper” en égyptien ou bien la forme d’un homme à tête de scarabée. Le verbe “kheper” signifie “se créer, se former”. Cette homophonie associe le scarabée à l’idée de création, incarnée par Rê
  • la forme du disque solaire, Aton (“jtn” en égyptien)

Quelle que soit la combinaison choisie par les Egyptiens, la forme de leurs dieux, mêlée ou non, est un hiéroglyphe qui permet d’écrire la nature et la fonction de la divinité, selon la pensée métaphorique égyptienne.

En outre, selon les moments de la journée, Rê était considéré comme se manifestant dans 3 entités exprimant ses différents états :

  • Khepri : (celui qui vient à l’existence), c’est le dieu Rê à son lever, souvent représenté comme un scarabée ou un homme à tête de scarabée
  • Horakhty : (celui des 2 horizons, oriental et occidental), c’est Rê dans sa plénitude, vers midi, souvent représenté comme un homme à tête de faucon
  • Atoum : (Rê vieillissant), c’est Rê à son coucher, représenté comme un vieillard courbé sur sa canne

En outre, Rê s’incarne dans le taureau sacré Mnevis (“Mer-Our” en égyptien). La pensée essentiellement métaphorique des Egyptiens fait associer la puissance du taureau à celle de pharaon : pharaon est puissant (comme) ce taureau. Le taureau Mnevis est la manifestation visible d’une puissance invisible. Le taureau Mnevis était choisi par les prêtres selon des critères très stricts dont un pelage noir. Il était élevé et soigné près du temple de Rê à Iounou et à sa mort, momifié et enterré dans la nécropole voisine des taureaux. Ses représentations le montrent comme un taureau portant un disque solaire et un uraeus entre les cornes.

Dès l’Ancien Empire, Rê possédait un clergé. Le Grand Prêtre de Rê à Iounou portait le titre de “Grand des voyants” : il était chargé d’observer les mouvements célestes, d’effectuer une cartographie des étoiles, en vue de déterminer les dates du culte des divinités. A Iounou, ont été retrouvées les tombes des “Grands des voyants” de la fin de l’Ancien Empire et de la PPI.

Le pharaon Akhenaton a poursuivi de façon extrême le culte solaire, en vénérant uniquement le disque solaire, Aton, manifestation concrète du dieu soleil Rê. Dans la nouvelle capitale Akhetaton (aujourd’hui Tell el-Amarna), Aton était adoré dans les temples à ciel ouvert. On a retrouvé le Grand Hymne à Aton qui aurait été rédigé par Akhenaton : il est gravé en une version unique dans la tombe de Ay, à Amarna (Ay était un dignitaire sous le règne d’Akhenaton). Cet hymne était peut-être un texte liturgique destiné à être récité lors du culte dans les temples d’Amarna. C’est un hymne dont la haute élévation spirituelle est incontestable. Tout empreint de poésie, il développe 2 thèmes principaux : le cycle quotidien du soleil et la révélation du dieu à son fils, Akhenaton. Voici le début du Grand Hymne à Aton (traduit par l’égyptologue Pierre Grandet) :

“Quand tu poins à l’horizon du ciel, 
Disque vivant, premier à vivre, 
Brillant à l’horizon d’Orient,
Toute terre est par toi emplie de ta beauté.

Tu es beau, tu es grand, tu es étincelant,
Loin au-dessus de toute terre ;
Tes rayons ceignent les pays,
Jusqu’aux limites de ce que tu as créé.

Comme tu es le Soleil, tu atteins leurs confins,
Les plaçant au pouvoir de ton fils bien-aimé,
Lointain dont les rayons sont pourtant sur la terre,
Et de chaque être humain caressent le visage.”

Les souverains ramessides reviendront à une théologie orthodoxe où tous les dieux de l’Egypte reprendront leur place antérieure mais sans réduire pour autant l’importance de Rê. D’ailleurs, pour s’en convaincre, il suffit de lire le nom de roi de Haute et Basse Egypte des pharaons jusqu’aux dernières dynasties indépendantes.
Exemples :
– Au Nouvel Empire :
Hatchepsout : Maât-ka-Rê (Maât est le ka de Rê)
Toutankhamon : Neb-kheperou-Rê (Rê est le maître des transformations)
Ramses II : Ouser-Maât-Rê (Puissante est la Maât de Rê)
– Sous la XXVe dynastie :
Shabaka : Nefer-ka-Rê (le ka de Rê est parfait)
– Sous la XXXe dynastie :
Kheperou-ka-Rê (le ka de Rê est advenu)
[le terme de “ka” indique la force de vie et de création existant au sein de la divinité]

Dans une Egypte antique dont la perpétuation de la vie dépendait d’un cosmos bienfaisant apportant lumière et chaleur, les Egyptiens se sont appliqués, dans un élan souvent mystique, à vénérer les forces invisibles qu’ils soupçonnaient responsables de la permanences de ces bienfaits. Le soleil, astre très apparent dans les cieux et sans qui la vie ne peut exister, a ainsi été l’objet d’une vénération continue. Le fait qu’il disparaisse tous les soirs sans qu’on puisse à l’époque expliquer rationnellement le phénomène, a accru l’inquiétude des Egyptiens que les rites mystiques réguliers du culte solaire rassérénaient quelque peu…

Juliette Lengrand, historienne

 

 

 

 

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