En l’attente de la reprise des conférences d’Egyptologie, nous vous proposons régulièrement des études d’objets de l’Egypte antique, rédigées par Juliette Lengrand, historienne.

Aujourd’hui : “Une statuette : la déesse Maât”

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Cette statuette du musée du Louvre représente la déesse égyptienne Maât.
Elle est faite d’un alliage cuivreux.
Elle daterait de la basse Epoque (vers 664 à 332 avant notre ère).
Elle mesure 10 cm de hauteur.
Fine et gracieuse, la déesse Maât est figurée de façon anthropomorphe , accroupie, vêtue d’une longue robe moulante. Son abondante chevelure est retenue par un bandeau frontal dans lequel est fiché une légère plume d’autruche. Celle-ci est en fait un hiéroglyphe qui écrit “Maât”, le nom de la déesse.

Sur les murs intérieurs des temples divins du Nouvel Empire (vers 1550 à 1000 avant notre ère), apparaît la scène du rite de l’offrande de Maât par le pharaon à la divinité du lieu. Quelle est donc l’importance de cette déesse pour qu’elle soit un don royal, au sein des temples divins ?

Il faut remarquer que la littérature égyptienne évoque “maât” dès les Textes des Pyramides de l’ancien Empire. Ainsi, dans la pyramide du pharaon Ounas, dernier roi de la Ve dynastie (vers 2375 à 2350 avant notre ère), on peut lire, écrit en hiéroglyphes : “Ounas a placé là maât  à la place d’isefet”, isefet étant considéré comme le chaos et maât comme le bienfait suprême. De plus, dans les autobiographies de l’élite de l’Ancien Empire, inscrites en hiéroglyphes sur les parois internes des tombes (les mastabas), on peut observer des revendications relatives à “la maât”.
Dans la tombe du scribe royal Idou (durant la VIe dynastie), celui-ci affirme : “J’ai dit la maât… j’ai accompli la maât… je n’ai jamais rien dit de méchant ou malin contre personne…”.

A la fin de l’ancien Empire, l’unité centralisée de l’Egypte se décompose et s’ouvre, ce que les égyptologues nomment la “Première Période Intermédiaire (PPI)” où l’Egypte connaît de multiples pouvoirs locaux. C’est alors que va naître, durant la PPI et au Moyen Empire de nouveau centralisé, une littérature qui insiste sur l’importance suprême de respecter la maât pour éviter le chaos social. Ainsi, dans le “Dialogue du désespéré avec son âme” (PPI ou XIIe dynastie), rédigé sur papyrus, l’auteur se demande si la vie vaut d’être vécue dans un monde qui foule aux pieds la maât : “A qui pourrais-je encore parler aujourd’hui ? Il n’y a plus de gens de maât, le pays est laissé aux faiseurs d’iniquité…”. De même, la Prophétie de Neferti (XIIe dynastie ?) décrit un monde où règne le chaos, sans autorité régulatrice : “On ne parle que par le meurtre”. Ce n’est que par l’arrivée d’un pharaon puissant que “maât reviendra à sa place et isefet sera repoussé à l’extérieur”.

Un des premiers ouvrages nommés “Enseignement”, celui du vizir Ptahhotep (rédigé sur papyrus au cours de la PPI ou de la XIIe dynastie) se donne comme objectif d’enseigner à son fils et successeur comment réussir dans son métier en suivant la maât : “Tiens t’en à la maât, ne la transgresse pas…”. Tous les “Enseignements” ou “Sagesses”, du Moyen Empire à la fin de l’histoire égyptienne, reposent sur l’idée de pratiquer la maât pour diriger ou servir l’Etat pharaonique.

Ainsi, il semble bien, au vu des sources écrites égyptiennes, que “la maât” soit un concept, né dès l’aube de l’histoire égyptienne. Concept recouvrant l’idée d’un certain ordre permettant la vie : l’ordre de la création cosmique posée comme un ensemble harmonieux, l’ordre de l’harmonie sociale qui en découle, c’est-à-dire l’ordre du “bien vivre ensemble” sur terre. Ce concept s’oppose à “isefet”, la tendance permanente du retour à l’incréé, au désordre, aux conflits menaçant la vie. Le concept de maât semble être un idéal s’érigeant au-dessus du pouvoir de pharaon et justifiant celui-ci : si pharaon règne en maître absolu sur toute l’Egypte, c’est qu’il a la mission divine de mettre en place la maât sur terre et de maintenir la maât cosmique par divers rites. Si le concept de maât permet la stabilité, c’est aussi un concept pouvant figer la société : chacun à sa place, sans conflits, tout fauteur de troubles étant considéré comme un ennemi de la maât. Aussi, l’avidité, l’injustice, la violence, l’égoïsme sont condamnés tandis que sont vantés l’écoute, le respect des supérieurs, la solidarité, le silence, la mesure, la justice… Dans une société où moins de 5% de la société savait lire et écrire, la littérature relative à la maât ne s’adressait qu’à une élite : le pharaon et les dignitaires administratifs ou sacerdotaux, ainsi que les élèves scribes des maisons de vie des temples ou du palais, qui recopiaient inlassablement sur papyrus cette littérature, comme exercice d’apprentissage de l’écriture.

La statuette du Louvre représente la déesse Maât (avec une majuscule) qui est donc un concept divinisé. Dans les textes sacrés, la déesse Maât est dite “fille” ou “épouse” de Rê et préside à la création. Aussi, dès le Nouvel Empire, les murs intérieurs des temples divins montrent, inscrite en bas-relief dans la pierre, la scène d’offrande de Maât au dieu local par pharaon. L’objet de l’offrande est une statuette que pharaon tient dans la main. Le geste engendre le geste ; offrir Maât au dieu, comme gage de respect envers elle, c’est aussi obtenir du dieu la garantie que celui-ci favorisera maât sur terre et dans le cosmos, perpétuant la vie.

 

A Thèbes, sous la XVIIIe dynastie, un culte rendu à la déesse Maât est attesté dans 2 temples sur la rive gauche et la rive droite du Nil. Les principales inscriptions retrouvées dans le temple de la rive droite concernent des pharaons qui ont inscrit dans leur nom celui de Maât. Ainsi, Amenhotep III, en tant que roi de Haute et Basse-Egypte, se nomme : Neb-Maât-Rê (Rê est le seigneur de Maât) ; Ramses II : Ouser-Maât-Rê (Puissante est la Maât de Rê) ; Hatchepsout : Maât-Ka-Rê (Maât est le ka de Rê).

Les titres incluant Maât existent dans la titulature de certains dignitaires administratifs ou sacerdotaux : “directeur des prêtres de Maât”, “prêtre qui affermit maât”… Le “vizir”, second personnage du royaume, représente la plus haute instance judiciaire et est donc le suprême serviteur de Maât : il porte au cou un collier à pendentif de Maât, ainsi que d’autres dignitaires au service de la justice, comme on peut le voir sur des statues ou des statuettes du Louvre, datant de l’époque ptolémaïque (332 à 30 avant notre ère).

 

Ainsi, l’idéologie dominante en Egypte antique présente le pharaon comme investi d’un pouvoir divin (il est le successeur du dieu Horus), emplit d’une mission divine justifiant son pouvoir absolu (maintenir et réaliser la maât cosmique et terrestre), tout ne étant un être promis à l’immortalité. La vénération et l’obéissance sont donc dues à pharaon.

L’on pourrait aujourd’hui se poser cette question : cette très haute idée de la maât comme solidarité et droiture au service de la vie et du bien-être de tous, était-elle vraiment respectée en Egypte antique ? En tout cas, elle était connue de l’élite que contrôlait pharaon et face à laquelle il pouvait justifier la monarchie absolue par le recours au concept de maât. Quant au peuple, il était entouré, dans chaque province, par les prêtres du temple local qui pouvaient faire aussi fonction de juges au nom de Maât et faire régner celle-ci, sans que le peuple connaisse expressément le nom de Maât. Il n’en reste pas moins que l’existence d’un concept tel que maât, pétri de paix et non de violence, dès l’aube de la civilisation égyptienne, peut nous surprendre et être un élément de compréhension de la longévité de cette civilisation trois fois millénaire.

 

Juliette Lengrand, historienne

 

Pour aller plus loin :

  • MENU Bernadette, Maât, l’ordre juste du monde, Editions Michalon, Paris, 2005, 119 p.
  • ASSMANN Jan, L’Egypte pharaonique et l’idée de justice sociale, Editions de la Maison de Vie, 1999, 173 p.

 

 

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